Journal amoureux de la corrida
Ce qui est compliqué pour un « aficionado » dans le fait d’écrire sur la corrida pour un large public, c’est assumer le rôle du « barbare ». La figure coupable d’une « attirance pour la jouissance du spectacle de la souffrance animale ». C’est bien ce que rabâchent les défenseurs autoproclamés de la condition animale, tenants de la « modernité » contre des « traditions archaïques ». Et voilà, j’écris déjà « nous », tant le harcèlement des radicaux, même déboutés par les sages constitutionnels, était quand même parvenu à communautariser les passionnés de…De quoi d’ailleurs ? On ne parle là ni d’un sport, ni d’un art à part entière (mais il y en a), ni d’une religion même si la part de rituel y est essentielle, et surtout pas d’un divertissement. J’y reviendrai.
Je ne veux pas non plus entrer dans ce débat sur la préservation des traditions. D’abord parce qu’elles ne sont pas toutes forcément respectables. Ensuite, parce que je n’ai aucun ancrage personnel dans la culture ibérique ou du sud de la France où se perpétue la tauromachie depuis des siècles, avec parfois des hauts et des bas, comme en Catalogne. J’ai découvert la corrida sur le tard, vers la trentaine, trop tard pour rêver même de devenir un jour torero. Les corridas étaient alors retransmises sur Canal+, et c’est par cette porte que je suis entré dans un monde qui n’a cessé depuis lors de me fasciner, de me bouleverser, de m’émouvoir. Même si l’on s’ennuie aussi beaucoup devant des corridas, l’ « aficion » pousse à y retourner dans l’espoir d’approcher encore cette « vérité » et d’atteindre peut-être le pinacle, comme lors de ce dimanche 16 septembre, à Nîmes, pétrifiés devant le maestro, le mythe vivant José Tomas qui affrontait 6 « toros » dans un solo déjà « culte ».
La corrida est aujourd’hui la seule représentation publique de la mort. Cette vérité, cruelle, brutale, belle parfois fait de la corrida le contraire d’un divertissement, comme je l’entends souvent. La corrida, surtout la corrida réussie, la tension émotionnelle qu’elle provoque chez le spectateur submergé explique d’ailleurs le besoin de décompresser après et de libérer des endorphines dans des fêtes (la feria) qui se prolongent jusqu’à l’aube. La corrida, elle, n’est pas une fête macabre ou l’on se délecterait de voir le sang couler. Le sang doit couler, certes, mais pas n’importe comment. C’est ce rituel que le non initié a bien sûr le plus de mal à comprendre. Encore faut-il vouloir.
La deuxième erreur que commettent à mon avis les défenseurs patentés de la condition animale est de croire qu’elle est absolue et surtout que l’homme a les mêmes devoirs envers toutes les espèces. Comme si un chat d’appartement, un canari encagé et…un taureau de combat devaient bénéficier du même traitement.
Le toro bravo n’est pas, loin s’en faut le plus mal loti. Il est le résultat d’une patiente sélection génétique. Pendant 5 ans il vit en totale liberté, à l’état sauvage et l’homme ne l’approche qu’à cheval. Si au bout de ce temps il est sélectionné pour le combat, cela lui évitera la boucherie qui est le sort commun des autres bovins. Il subit sûrement un stress lors de son transfert, car son espace vital se voit soudain restreint. Son tempérament va se réveler brutalement lorsque s’ouvrent finalement les portes du toril, une fois habitué au bruit et à la lumière. Bien sûr, il en est de faibles et de peu combatifs qui font pitié. Mais il suffit d’en voir un seul brave (pour peu qu’il ait face à lui un grand torero) pour se rendre compte qu’il n’est pas une victime , et que les blessures que lui infligent alors les hommes révèlent au contraire sa nature de fauve. Non, la corrida n’a rien à voir avec la torture d’un animal. Elle aurait davantage à faire, comme le dit justement Francis Marmande avec « la vie, l’amour, la mort ». Ce que les « aficionados aiment voir c’est le spectacle souvent ambigu, fortement érotique, de l’homme menacé par une bête sauvage d’une demi tonne, et qui finit par lui imposer sa domination. Enfin, une sublimation de la mort, presque toujours celle de l’animal (et heureusement !), peut-être par volonté d’exorcisme.
J’ajoute que les arènes sont très souvent, sans pitié pour les toreros, même les plus adulés : Nulle part ailleurs je n’ai vu tant artistes-les toreros en sont- subir broncas et injures parce qu’ils se comportaient vulgairement face à leur adversaire.
Non seulement les aficionados aiment les animaux (Nous avons nous aussi des chiens, des chats, des canaris et des tortues que nous choyons !), mais leur connaissance de la nature est souvent bien plus sérieuse que celle de ces « écolos » citadins qui en restent à un anthropomorphisme réducteur. Eux qui n’ont en général que le mot « biodiversité » à la bouche, savent-ils seulement que ces races de « toros » disparaitraient aussi rapidement que la corrida, en cas d’interdiction ?
Mais revenons un instant à ce 16 septembre 2012, à Nîmes. Pendant environ deux heures et demi, les arènes romaines (les plus grandes après le Colisée), y furent le centre de la tauromachie mondiale. Sur les 16000 spectateurs, une bonne moitié venait d’Espagne, du Mexique (la patrie d’adoption de José Tomas), de Colombie, des Etats-Unis etc…Parmi ces « barbares » on pouvait reconnaître l’écrivain péruvien Mario Vargas Llosa, prix Nobel de littérature, l’acteur et metteur en scène Denis Podalydès, de la Comédie Française, l’architecte Jean Nouvel etc…Tous, jusqu’au dernier spectateur de l’amphithéatre, nous eûmes le sentiment de vivre un moment unique, éphémère hélas, mais unique. Le critique taurin du journal espagnol « El Mundo » Vincente Zabala de la Serna, qui en a vu d’autres, avoua à ses lecteurs, au moment d’écrire son papier que ses yeux étaient encore inondés par l’émotion.
A l’issu de cette journée, en me demandant si je reverrai un jour une corrida aussi sublime, quasi parfaite, je n’avais aucun doute d’être du côté du raffinement et de la civilisation, quand la violence et l’intolérance se trouvent bien, elles, du côté de ces extrémistes de l’animalisme, capables de poser des bombes et de tuer des hommes pour défendre leur « cause ».
Les amateurs de tauromachie, eux, souhaitent seulement qu’on les laisse donner libre court à leur passion. Avec l’avis du conseil constitutionnel, ls viennent, en France, d’écarter un danger, mais ne sont pas sûr de rester en paix bien longtemps.
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